Interview Philippe Cordonier, journée de l'Industrie Swissmem Comment se porte l’industrie MEM en Suisse ?
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Jeudi 29 juin dernier avait lieu la 16e journée de l’industrie Swissmem. Cette année, le thème de l’énergie a enflammé les discussions. Nous avons eu l’occasion de rencontrer Philippe Cordonier, responsable romand de Swissmem et de lui poser quelques questions.

Comment se porte l’industrie MEM en Suisse à mi-année 2023 ?
La situation est assez contrastée avec des entreprises qui vivent encore sur les carnets de commande des années 2021-2022 après Covid qui étaient excellents. Ces entreprises sont donc dans une phase où elles doivent maintenant livrer beaucoup de ces commandes, on peut donc parler de surchauffe avec les problèmes que cela engendre au niveau de la supply chain et de l’approvisionnement qui rendent difficile la livraison de composants de machines. Les entreprises aujourd’hui sont face à cette situation paradoxale d’avoir beaucoup d’entrées de commandes mais des perspectives dans les prochains mois qui sont plus incertaines. Les entreprises doivent jongler entre des commandes importantes, la difficulté de livrer car la supply chain est toujours perturbée, elles aimeraient engager du monde qu’elles ne trouvent pas forcément, en résumé elles ont beaucoup de travail et de livraisons mais elles ne veulent / peuvent pas monter trop en capacité car elles craignent un retour de balancier dans les prochains mois et de devoir licencier des collaborateurs. C’est donc une situation délicate à gérer pour les entreprises.
Comment analysez-vous la situation actuelle et quel scénario envisagez-vous pour cet hiver ?
Les contrecoups de la période Covid commencent à se tasser – les délais d’approvisionnement se réduisent, les contraintes sanitaires disparaissent, les événements professionnels et voyages d’affaire reprennent– mais ceux de la crise en Ukraine sont eux encore d’actualité avec notamment les répercussions au niveau de l’approvisionnement énergétique pour nos entreprises. En Suisse le RHT a permis aux entreprises de garder les collaborateurs et de répondre très rapidement à la forte croissance qui a suivi le Covid. Ce que l’on vit maintenant avec des entreprises qui ont beaucoup de travail et qui arrivent à livrer c’est grâce aux collaborateurs donc aux bonne mesures mises en place pour assurer cet effet rebond. Ce que l’on constate c’est que les supply chain se sont bien régularisées, mais le problème qui reste d’actualité c’est celui de la main d’œuvre puisque les entreprises en manquent encore. Il y a toujours également des complications avec la Chine, ne serait-ce que pour les voyages vers ce pays. La Chine est pour nous un marché très porteur, compliqué bien sûr mais en forte croissance. C’est surtout un marché qui est devenu très cher en termes de main d’œuvre, les coups de production y ont fortement augmenté et beaucoup d’entreprises se posent la question d’y rester -peut-être pour livrer sur la Chine- ou d’aller ailleurs. Il y a donc des stratégies de production qui sont maintenant vraiment remises en cause.
L’autre élément préoccupant auquel nous faisons face c’est que de nombreuses entreprises voient maintenant que cette surchauffe que l’on a eu après le Covid a pour résultat des augmentations de stocks très importantes. Beaucoup d’entreprises sont aujourd’hui confrontées à des clients qui leur disent que leur stock est plein et au lieu de commander sur le long terme ils préfèrent ne rien commander pendant 6 mois par exemple. C’est donc une conséquence de cette surchauffe qui peut amplifier le contrecoup de ce que l’on pourrait vivre ces prochains mois.
Pour envisager l’évolution de la situation, il y a trois éléments à prendre en considération. Le premier étant lié à la question de l’énergie et de ses conséquences sur l’Europe. Nos entreprises ont fourni des efforts pour baisser leur consommation d’énergie. Les entreprises de la branche des machines ont baissé leur consommation d’énergie de 55 % depuis 1990, nous avons donc dans notre branche déjà atteint l’objectif de réduction de CO2. Ces mesures ont été prises pour des questions de coûts qui profitent bien évidemment à long terme. Ce que l’on craint ce sont des ruptures d’approvisionnement qui seraient catastrophiques pour la production puisque c’est bien sûr impossible d’arrêter 2 heures par jour une production, on doit donc assurer une continuité de celle-ci et de son approvisionnement énergétique. Le deuxième élément correspond aux sanctions qui ont eu des effets puisque nos entreprises ne vendent presque plus rien à la Russie et à l’Ukraine. La Suisse livrait environ 1 % en Russie et moins de 0,5 % en Ukraine avant la guerre, aujourd’hui les livraisons ont quasiment stoppé donc ce sont deux marchés qui ont disparu à cause des sanctions (que je ne remets pas en cause). Le troisième élément concerne le problème de matériel de guerre, la sécurité et l’industrie de l’armement en Suisse. C’est une question très délicate à laquelle nous souhaiterions que le monde politique soit plus souple au niveau de la réglementation de sorte que l’on s’adapte à celle des autres pays européens pour que l’on ne se retrouve pas avec une distorsion de concurrence. Aujourd’hui l’industrie de l’armement en Suisse est fortement prétéritée par cette interdiction de réexportation que nous souhaiterions plus flexible. Certaines réglementations législatives ont été prises mais nous souhaiterions pouvoir les alléger car notre industrie de l’armement aujourd’hui en Suisse est exportatrice essentiellement et donc fortement pénalisée par ces réglementations. L’objectif n’étant pas de faire de l’armement mais beaucoup d’entreprises qui en font sont des entreprises qui font essentiellement du civil. Elles font accessoirement du matériel militaire qui leur donne accès à des technologies d’avant-garde. L’accès à des contraintes militaires permet à des entreprises d’avoir accès à des hautes technologies qu’elles peuvent utiliser dans le domaine civil et leur permet d’acquérir de nouvelles connaissances. En Suisse nous n’avons pas d’industrie d’armement propre ni de capacité d’achat suffisante pour avoir une industrie de l’armement. Notre industrie de l’armement est essentiellement faite par des industries civiles qui est une de leurs activités. Si on leur enlève ça on leur enlève la possibilité d’avoir accès à des marchés intéressants d’un point de vue technologique.
Quel est votre point de vue sur les accords bilatéraux entre la Suisse et l’Union européenne ?
Le 21 juin la Suisse a approuvé les grands axes d’un mandat de négociation avec l’UE. Je dis « enfin » puisque depuis déjà de nombreuses années Swissmem s’est engagé notamment pour l’accord-cadre et le maintien des accords bilatéraux, l’industrie des machines exportant près de 60 % dans l’Union européenne, pour nous c’est donc un marché majeur et essentiel. Il faut donc absolument maintenir ces accords bilatéraux et les pérenniser. C’est pour cela que Swissmem s’est engagé depuis de nombreuses années pour pousser le Conseil fédéral à faire tout ce qu’il faut pour maintenir ces accords bilatéraux, voir conclure un accord-cadre, nous saluons donc la décision même si ce n’est qu’un premier pas. Nous souhaiterions que le Conseil fédéral soit plus proactif et prenne ses responsabilités.
Quels sont les projets au niveau de Swissmem ?
Nous sommes très actifs dans la formation professionnelle et l’apprentissage. Le manque de main d’œuvre est chronique et dangereux pour la pérennité de notre branche. C’est pour cela qu’il est primordial de continuer à former des jeunes par l’apprentissage dans nos métiers, sujet sur lequel Swissmem s’engage. La formation professionnelle est soutenue par une initiative nommée Fascination Technique qui a été lancée lors des derniers SwissSkills. C’est une initiative des deux associations faîtières Swissmem et Swissmechanic pour la promotion de l’apprentissage auprès des jeunes. La Swissmem Academy quand a elle assure la formation continue.
Enfin le dernier élément important pour nous est de faire connaître notre industrie et les solutions technologiques que nos entreprises apportent aux problèmes d’aujourd’hui. C’est d’ailleurs le but de journées comme aujourd’hui sur le thème de l’énergie : montrer que l’industrie apporte des solutions. Nous avons un problème en approvisionnement d’énergie, un problème climatique, ça ne sert à rien de taxer, ça ne va pas résoudre le problème. Pour nous, les solutions technologiques permettent à la société d’avancer et nous avons pour volonté de montrer que nos entreprises apportent des solutions technologiques à ces problèmes. Pour cela nous avons notre plateforme de communication Tecindustry qui a pour but de montrer les solutions technologiques de la branche. En résumé vous retrouvez sur nos plateformes : promotion des métiers et fascination technique, promotion des solutions technologiques de nos métiers.
MSM
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