Instruments spatiaux et satellites Quand les matériaux composites sont mis en orbite

de Marina Hofstetter

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Les contraintes liées à l'envoi dans l'espace des satellites et des instruments qu'ils transportent sont multiples. Avec les avantages, mais aussi avec les défis qu'amène leur utilisation, l'industrie spatiale ne pouvait pas passer à côté des matériaux composites.

Le télescope BELA avec sa structure en panneau de CFRP et nid d'abeille en aluminium, actuellement en route vers Mercure.
Le télescope BELA avec sa structure en panneau de CFRP et nid d'abeille en aluminium, actuellement en route vers Mercure.
(Source : Thales Alenia Space Switzerland)

Thales Alenia Space Switzerland est basée à Zurich et regroupe depuis fin 2016 les activités de l'ancienne Division Optoélectronique de RUAG. Les quelques 75 employés de l'entreprise sont spécialisés dans la production d'instruments pour les satellites scientifiques et dans la réalisation de terminaux de communication optique. Optoélectronique et communication laser sont donc le cœur de métier de la société, mais ne seraient rien sans l'expertise des ingénieurs mécaniques qui travaillent à l'optimisation des structures nécessaires à ces instruments. Antonio Casciello, Manager Engineering chez Thales Alenia Space Switzerland, a accepté de répondre à nos questions.

Quelles sont les activités couvertes par le groupe d'ingénierie chez Thales Alenia Space Switzerland ?

A. Casciello : Nos projets sont fondamentalement pluridisciplinaires, ce que reflète notre équipe. Nous couvrons des domaines aussi divers que la conception mécanique, la conception électronique, le développement de logiciels et micrologiciels, l'ingénierie optique et des lasers, l'ingénierie thermique et structurelle, l'ingénierie des radiations, et l'ingénierie des processus et des matériaux.

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En étroite collaboration avec des architectes solutions et des ingénieurs en vérification, et avec le support des structures nécessaires, nous développons des produits spatiaux pour différentes applications : instruments d'observation scientifiques, terminaux de communication optique, appareils de contrôle de radiations, interfaces électroniques frontales, caméras, électroniques de gestion d'actuateurs…

Le développement de systèmes et sous-systèmes aussi complexes nécessite de nombreuses heures de conception, d'analyses et de tests. Nous devons souvent combiner le développement du hardware et celui des logiciels et micrologiciels, ce qui crée de nombreux défis pour la conception mécanique et l'ingénierie structurelle. Les aspects structurels en particulier, nécessaires à la survie aux charges induites par le décollage, répondent à des exigences fonctionnelles et de performance qui requièrent une sélection attentive des matériaux et une conception et une analyse scrupuleuses.

Quelle sont l'importance et les avantages de l'utilisation de matériaux composites dans le secteur spatial et en particulier pour les instruments que vous développez ?

A. Casciello : Cela se résume à deux notions clés : poids et raideur. Bien que le prix d'un lancement diminue depuis quelques années, envoyer un satellite en orbite ou sur une trajectoire interplanétaire n'en reste pas moins cher. Les fabricants de satellites essayent de maximiser la disponibilité de charge utile afin de proposer plus de services, plus de données, plus de possibilités d'utilisation à leurs clients. Dans le domaine spatial, réduire le poids est donc un point essentiel. C'est tout simplement une question de performance.

Au niveau satellite, l'utilisation de matériaux composites est idéale pour réaliser de larges structures avec un haut rapport raideur/poids. Ces matériaux permettent également de réduire les déformations des structures dues aux contraintes thermiques par exemple. Les différentes parties d'un satellite peuvent aussi être connectées les unes aux autres via des entretoises elles-aussi en matériaux composites, à base de carbone ou de fibre de verre par exemple.

Les matériaux composites peuvent être conçus et ajustés aux besoins spécifiques de chaque application. Ils peuvent également être combinés à d'autres matériaux : stratifiés épais en fibre de carbone, panneaux dont le cœur en nid d'abeille en aluminium est pris en sandwich entre deux plaques de carbone, ou encore entretoises en carbone ou en fibre de verre avec raccord métalliques sont des exemples typiques d'applications de composites dans notre domaine.

Au niveau instrument, ou plus généralement au niveau charge utile, l'utilisation de matériaux composites intervient lorsque haute raideur, faible masse et faibles déformations sont nécessaires pour assurer les performances du système. Dans de tels cas, les structures en composites sont réalisées pour atteindre un poids minimal tout en garantissant une grande raideur. Les antennes et les instruments optiques possèdent des besoins stricts en termes de forme, de performances optiques et de stabilité de pointage, ce qui peut être atteint grâce à des matériaux à expansion thermique faible. Dans ce type d'applications, l'avantage des matériaux composites est donc évident. Les ingénieurs peuvent utiliser la flexibilité de conception du matériau pour obtenir la meilleure structure répondant aux performances systèmes requises. Cette liberté de conception est basée sur la sélection de fibres de carbone spécifiques par exemple, de la résine, et de l'arrangement des couches. Le contrôle de cet arrangement, les traitements thermiques et la vérification finale du matériau via des échantillons sont d'une importance capitale. Les télescopes haute performance sont un exemple typique : ils sont en général basés sur des substrats optiques à faible expansion thermique et nécessite donc également une structure possédant des caractéristiques thermiques similaires. Les matériaux composites permettent de trouver des solutions à ces défis techniques.

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À quel point êtes-vous flexible au niveau conception ? Quelles sont les contraintes principales ?

A. Casciello : En tant qu'ingénieur, ma première réponse est que ça dépend. De manière générale, les structures ont des rôles dédiés de support. Et en fonction de leur rôle précis, les contraintes peuvent être extrêmement différentes. Le processus de conception d'une structure dans le domaine spatial est contraint par la forme, le volume, le poids, les charges mécaniques et l'environnement thermique. Dernier point, mais non le moindre, nous sommes très dépendants des coûts, en particulier depuis la grande transformation industrielle que subit le secteur spatial depuis quelques années. Les coûts doivent être réduits autant que possible.

Quels sont les défis spécifiques à l'utilisation de matériaux composites dans le domaine spatial ? Diffèrent-ils de ceux rencontrés dans d'autres types d'industries ?

A. Casciello : En particulier pour les applications d'instruments optiques, les défis principaux consistent à assembler les différentes parties en matériaux composites entre elles. Dans chaque joint, par collage ou par vis via des inserts, réside le risque de perdre les avantages et l'efficacité du matériau composite choisi. Cela est dû aux effets que le joint peut avoir sur la stabilité de forme qui doit être de l'ordre du micromètre, le stress induit sur les surfaces optiques, etc.

Un autre défi typique des instruments optiques utilisant du CFRP (polymère renforcé de fibres de carbone, ndlr.) est la libération d'humidité. Si on zoome sur une structure en carbone, avec un microscope par exemple, ce qu'on voit ressemble à une éponge : c'est une structure poreuse, ce qui signifie qu'elle va lentement absorber de l'eau dans des conditions ambiantes. Cela peut paraitre anodin pour beaucoup, mais dans le cas d'instruments précis et stables, c'est un point majeur qu'il faut absolument prendre en compte. La structure, une fois exposée au vide spatial, va relâcher cette eau emmagasinée, ce qui va entraîner une déformation et donc influencer les performances optiques. Des mesures compensatoires doivent donc être prises à tous les niveaux : conception, fabrication et tests.

Avez-vous déjà vu un projet pour lequel l'utilisation de matériaux composites ne convenait tout simplement pas ?

A. Casciello : Je ne dirais pas que leur utilisation ne convient pas, mais plutôt qu'il nous arrive parfois de travailler sur des projets pour lesquels les matériaux composites ne sont pas compatibles avec les besoins du projet et la mission de manière générale. Parfois, c'est simplement une histoire de coûts.

Y a-t-il pour vous des alternatives à l'utilisation de matériaux composites ? Y a-t-il un matériau qui pourrait les concurrencer à l'avenir ?

A. Casciello : L'utilisation de matériau composite pour la fabrication de structures de satellites va durer. La principale évolution est à mon sens représentée par la combinaison des technologies de fabrication additive avec l'idée plus classique des structures en composites. Les processus de fabrication, et donc ceux de conception, évoluent dans cette direction. Il est clair que la fabrication additive est de plus en plus utilisée, dans notre secteur également, et de nombreux satellites volent aujourd'hui avec des pièces issues de la fabrication additive qualifiées pour le spatial. MSM

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