Horlogerie grand gabarit Le retour des pendules mécaniques
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Qui n'a pas déjà entendu ce tic-tac régulier des horloges neuchâteloises ? Un savoir-faire quasiment disparu qu'ont décidé de raviver les cofondateurs de Keris en produisant à Neuchâtel des pendules mécaniques contemporaines. Entretien avec Marie-Aude Acker, co-fondatrice de Keris.

Quel est votre parcours et pourquoi vous êtes vous lancée dans la fabrication de pendules ?
J'ai cofondé Keris avec Guillaume Sireyx en 2021. Nous sommes tous deux ingénieurs de formation, mais avec des parcours assez différents. Je suis issue d'une filière microtechnique avec option en ingénierie de l'innovation. Ayant développé un attrait pour la logistique, j'ai rejoint l'équipe de Supply chain chez Tag Heuer à La Chaux-de-fonds en 2013. J'ai ensuite bénéficié de plusieurs mobilités au sein du groupe LVMH, en l'occurrence chez Bulgari à Neuchâtel, puis chez Zénith au Locle, avec à chaque fois des périmètres logistiques de plus en plus importants, avec des responsabilités englobant la réception des marchandises, le stock de composants, la planification de production, le stock de produits finis, l'expédition, et l'export. Mon associé est quant à lui spécialisé en mécanique générale. Il a travaillé sur des projets d'industrialisation et de fabrication de mouvements mécaniques, tout d'abord chez Tag Heuer en Ajoie, puis chez Zenith à partir de 2017. C'est là que nous avons travaillé ensemble pendant 3 ans environ sur la nouvelle philosophie opérationnelle de la manufacture. Pendant cette période, Guillaume a émis le souhait de se lancer dans l'entreprenariat, ce qui n'était pas mon cas à l'époque. Or, à l'été 2020, par suite du départ du directeur du service après-vente et à la réorganisation du service, leur stock de composants m'a été rattaché. Un matin, j'ai découvert les pièces servant à la réparation de pendules neuchâteloises. Jusque dans les années 1980, Zenith était en effet l'un des plus grands producteurs fabricants de pendules neuchâteloises, qui s'exportaient alors par milliers par année. Aujourd'hui, seule leur réparation est encore assurée. C'est ce jour-là qu'est née la discussion autour des initiatives engagées dans l'univers des pendules, de l'horlogerie grand gabarit, et de l'horlogerie décorative.
Quelles ont été les étapes de développement nécessaires à la naissance de Keris ?
Nous avons tout d'abord passé plusieurs mois à nous renseigner sur le domaine de l'horlogerie grand gabarit. À la fin des années 1980, le déclin des achats de pendules neuchâteloises a entraîné la fin de leur fabrication, et les manufactures et sous-traitants ont fermé les unités qui étaient dédiées à cette fabrication. Il existait donc quelques mouvements et quelques pièces sur étagères, mais quasiment rien de nouveau n'était produit, ce qui signifiait que si nous voulions lancer un projet dans ce domaine, nous n'avions pas d'autres choix que de créer notre propre mouvement mécanique de pendule. La question était de savoir si nous en étions capables. Au printemps 2021, nous avons donc à la fois établi une liste des compétences nécessaires et des entreprises dans lesquelles ces compétences se trouvaient, et nous avons fabriqué nous-même un prototype de mécanisme. C'est une fois ce prototype fonctionnel que nous avons quitté Zenith pour nous consacrer à 100% à Keris.
Sur quoi vous êtes-vous basée pour développer ce nouveau mouvement mécanique ?
En termes de connaissances horlogères, nous ne partions évidemment pas de zéro. Nous avons désassemblé de nombreux mouvements historiques de différentes périodes pour comprendre comment ils avaient été conçus. Nous avons ainsi compris la logique appliquée par les ingénieurs et les horlogers pour standardiser la fabrication des pièces en fonction des techniques de production disponibles, ainsi que pour rendre ces pièces plus robustes et le produit plus fiable. Néanmoins, en ce qui concerne la conception de notre mécanisme, nous sommes partis d'une feuille blanche.
Pourquoi cela ?
Dès le début, nous nous sommes posé la question suivante : en 2021, pourquoi une personne achèterait-elle une pendule mécanique plutôt qu'une pendule à quartz ? De nos réflexions est apparu un point clé : nous devons montrer ce qu'il y a de magique dans le fait qu'une horloge fonctionne, nous devons montrer la mécanique. Notre enjeu était donc différent de celui de l'époque de production des pendules neuchâteloises, qui était achetée pour leur performances et la beauté de leur cabinet, mais pas pour la beauté de leur mécanisme. De notre côté, nous cherchions à rendre élégants et décoratifs les engrenages d'une mécanique de grand gabarit. Nous avons donc utilisé nos connaissances horlogères et nos connaissances des moyens actuels de fabrication pour développer un mécanisme avec de grandes pièces autant fonctionnelles qu'esthétiques.
Comment est organisée la production des horloges Keris ?
Nous avons rapidement décidé de ne pas avoir notre propre unité de production. Chez Keris, nous sommes donc seulement deux, et nous travaillons en partenariat étroit avec des sous-traitants. Nous pouvons presque parler de co-conception, car nous discutons en profondeur avec nos fournisseurs de la faisabilité des pièces. La majorité de nos fournisseurs se trouvent dans la région de Neuchâtel, qui dispose de tous les experts nécessaires à la fabrication de notre produit. Outre leur expertise, travailler avec des partenaires locaux est un gain de temps et de performances inestimable. Aujourd'hui, nous assemblons encore nos pendules nous-mêmes, mais nous avons identifié un partenaire pour reprendre cette tâche.
Quels sont les parallèles entre la fabrication de pendules et la fabrication de montres ?
Bien que l'on parle d'horlogerie dans les deux cas, il y a plus un monde d'écart qu'un monde de similitudes. À part la philosophie de l'objet en soi qui est de donner l'heure, tout le reste est différent. Nous avons d'ailleurs dû nous libérer et nous éloigner des concepts de l'horlogerie de poignet pour créer un objet performant qui répondait à nos spécifications d'horlogerie de grand gabarit. Nos pièces sont beaucoup plus grosses, plus épaisses et plus lourdes que les composants de montres. Nous avons même sur certaines pièces un facteur 5 à 10 en taille par rapport à ce qui se faisait dans les pendules neuchâteloises. En termes de taille et de poids, nous sommes sur de la mécanique générale. Pour cette raison, nos fournisseurs ne sont pas des sous-traitants horlogers, car leurs machines ne permettent pas de fabriquer nos composants. Nous avons dû développer un nouveau réseau, avec des partenaires capables de fabriquer ces grandes pièces avec la même précision qu'en micromécanique. Précision, fonctionnalité et esthétisme : 3 axes clés, pour lesquels certains de nos partenaires ont dû sortir de leur zone de confort.
Avez-vous également innové en termes de matériaux ?
Nous avons innové sur les matériaux, sur les process, sur les finitions. À l'époque des pendules neuchâteloises, il y avait beaucoup de pièces tournées en laiton, que nous avons par exemple remplacées par des pièces en aluminium découpées au jet d'eau. Adapter notre design avec de nouveaux matériaux et de nouvelles technologies nous permet d'offrir une expérience contemporaine à nos clients. Le laiton a par exemple une esthétique très traditionnelle, ainsi qu'un son très particulier. C'est par exemple le choc laiton contre laiton qui donne ce bruit typique des vieilles horloges. Nous avons fait de nombreux essais, notamment sur les revêtements, pour obtenir un son plus feutré et plus grave que celui des pendules d'antan.
Quels autres points ont été repensés d'un point de vue expérience utilisateur ?
Nous avons fait très attention au mécanisme de remontage. Le remontage des pendules neuchâteloises se faisait à l'aide d'une clé cachée dans le cabinet. À l'approche de la fin du remontage du ressort, la tâche pouvait s'avérer relativement ardue. Nous avons donc voulu rendre cette tâche plus facile et plus agréable. Pour cela, nous avons créé un bouton de remontage comme une couronne de montre. Il offre l'avantage d'être à demeure, il est donc impossible de le perdre, et il ne demande que peu de force, si bien qu'un enfant peut remonter la pendule. En plus de la fluidité et de la facilité du remontage, l'utilisateur peut également apprécier de voir s'actionner la croix de Malte pendant l'opération.
Quels sont vos arguments de vente, sachant que les pendules mécaniques ont été délaissées par le grand public depuis plusieurs décennies ?
Nos clients sont plus des amateurs de design que des férus d'horlogerie. Nous visions les deux types de clientèles, mais nous ne savions pas dans quelles proportions elles répondraient. Nos clients aiment les objets inédits, décoratifs, à connotation artisanale et qui racontent une histoire. Nous avons rapidement compris que notre marché était différent de celui des manufactures horlogères disons classiques. C'est en ce sens que nous nous définissons comme une néo manufacture.
Quelles sont les prochaines étapes du développement de Keris ?
Nous avons plusieurs projets en cours : en ce qui concerne les pendules mécaniques, nous travaillons avec un étudiant en Bachelor « Ergonomie et design » de la Haute école Arc à Neuchâtel pour concevoir notre prochain modèle, avec un design radicalement différent de celui que nous proposons actuellement. Un autre axe de travail que nous avons développé sont les prestations en marque blanche. La marque blanche est le fait de travailler au développement d'un objet pour le compte d'une autre marque, sans que notre marque n'apparaisse. Nous travaillons dans ce cadre pour des maisons horlogères ou des sociétés de décoration ayant des projets associant de la mécanique fonctionnelle et esthétique de grand gabarit, domaine pour lequel nous avons développé dans le cadre de Keris un nouveau réseau d'experts. Et puis dernier gros projet en cours, nous travaillons sur WOW, pour Watch On Wall, pour lequel nous avons déposé notre premier brevet. Nous répondons ainsi à une question que nous avons posé très largement ces deux dernières années, tant à nos clients qu'à nos fournisseurs, nos partenaires, où sur les salons : quelle pièce d'horlogerie souhaiteriez-vous voir accroché à votre mur ? Nous présenterons le premier prototype à l'été 2023.
MSM
Keris au Salon EPHJ 2023
Stand M110
(ID:49431004)