Objectif décarbonation de l'industrie Matériau du futur : le bois augmenté
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De nombreuses entreprises agissent actuellement dans le cadre du développement de solutions de décarbonation de l'industrie. Woodoo est l'une d'entre elles. Créée en 2017, cette société de 35 personnes fabrique des matériaux issus du bois qui ont pour but de remplacer béton, plastiques et métaux dans moult applications. Olivier Grange, SVP Marketing et Communication de Woodoo, a répondu à nos questions.

Comment est organisée l'entreprise ?
Woodoo (prononcer comme « wood » en anglais, ndlr) a été créée en 2017 par Timothée Boitouzet. Nous sommes actuellement 35 employés. L'équipe R&D compte une dizaine de personnes. Sept personnes composent l'équipe mécatronique et optique, qui s'occupe de la réalisation des démonstrateurs et des solutions digitales développés à partir de nos produits. Le reste est réparti entre les équipes support, marketing et communication, ventes, et production. Nous disposons de bureaux en haut de la Tour Montparnasse à Paris, ainsi que de deux sites de production proches de la ville de Troyes (FR), dans la région Grand-Est. Nous disposons également dans le cadre d'un partenariat d'une unité de production en région lyonnaise dans les locaux de Duqueine, acteur important dans le domaine des composites.
Comment est né le concept Woodoo ?
M. Boitouzet a travaillé de nombreuses années dans plusieurs cabinets d'architecture d'envergure internationale, notamment au Japon et en Suisse chez Herzog & de Meuron. La thématique de l'utilisation du béton se pose constamment dans le domaine de la construction. Or la fabrication du béton est particulièrement carbo-émissive, environ 800 kilogrammes de CO2 par mètre cube. M. Boitouzet cherchait donc de ce fait des alternatives au béton, et en est venu, notamment grâce à son expérience au Japon où le bois est un matériau de construction prépondérant, à l'intuition que cette matière première naturelle pourrait être la solution.
Alors vous parlez du bois, qui est un matériau bien connu. Qu'apportez-vous de plus ?
Les matériaux de construction les plus utilisés actuellement, tels que le béton, le ciment et le verre, sont des matériaux découverts aux temps des Romains et utilisés depuis des millénaires. La recherche et l'innovation sont bien évidemment présentes dans ces domaines, mais dans leur globalité, ces matériaux ont peu évolué. Le bois est lui aussi utilisé depuis longtemps, mais notre utilisation du bois est radicalement nouvelle. M. Boitouzet a développé la technologie de Woodoo au MIT Medialab. L'idée est basée sur la transformation du bois à l'échelle moléculaire pour en faire un matériau aux caractéristiques augmentées par rapport à du bois natif. Ce sont donc l'architecture et la chimie qui ont mené à cette innovation. Que ce soit au niveau macroscopique pour l'architecture ou au niveau nanoscopique pour la chimie, tout a été une question de structure dans son travail.
Pouvez-vous nous en dire plus sur cette technologie de transformation du bois ?
Le bois est composé de trois composants principaux : la lignine, la cellulose et l'hémicellulose. Il contient enfin 60 à 80 % d'air. Nous commençons par modifier le bois au niveau moléculaire en supprimant la lignine. En résulte une matrice de cellulose et d'hémicellulose dans laquelle nous allons injecter différents éléments de remplissage (des polymères) pour remplacer l'air et la lignine. En fonction de la résine injectée et de l'essence du bois utilisé, nous obtenons alors un bois dit « augmenté » avec diverses caractéristiques.
Quelles sont les caractéristiques particulières de ce bois augmenté ?
Cela va dépendre. Les éléments de remplissage que nous injectons sont des polymères, essentiellement des résines. Elles vont donner des qualités de grande résistance ou de translucidité. Nous pouvons aussi rajouter un composant pour obtenir une résistance aux UV ou au feu par exemple. Nos innovations sont protégées par une cinquantaine de brevets internationaux. Notre gamme de produits est amenée à se développer en fonction de nouveaux polymères avec lequel nous remplissons la matrice de bois délignifiée. Nos matériaux sont par conséquent extrêmement polyvalents mais nous proposons actuellement deux familles principales de matériaux : des feuilles de bois translucide, Woodoo SLIM, et des blocs de bois de haute résistance, Woodoo STACK.
Qu'est-ce que le SLIM ?
Le SLIM est fabriqué à partir de bois natif en format feuille (comme du plaquage). Nous achetons ces feuilles chez des grossistes, et effectuons la transformation. La délignification se fait par bain chimique. Nous n'utilisons aucun solvant, nous faisons de la « chimie verte ». Dans un second temps, nous allons injecter dans des conditions de température et de pression contrôlées la résine dans notre matrice de bois au moyen de presses. Nous obtenons ainsi des feuilles de bois délignifiées et imprégnées que nous appelons SLIM. Ces feuilles sont environ 3 à 4 fois plus résistantes que du bois natif et sont translucides. Le niveau de translucidité varie en fonction du procédé et de l'essence du bois utilisé.
Pouvez-vous utiliser n'importe quel type de bois ?
Oui. Nous privilégions les bois dit « déclassés » auxquels nous voulons redonner de la valeur pour revitaliser la filière bois-forêt. Nous ne souhaitons pas travailler les bois nobles, comme le chêne ou le noyer par exemple, qui font l'objet d'une très forte demande, notamment chinoise, pour ne pas ajouter un surcoût inutile à nos produits. Et bien sûr, les bois exotiques, qui font l'objet d'une déforestation catastrophique pour la biodiversité et la planète, n'entrent jamais dans nos matériaux.
De nombreuses autres essences de bois sont disponibles, et nous préférons donner de la valeur aux bois qui sont autrement utilisé simplement comme bois de chauffage par exemple. Nous avons travaillé entre 40 et 50 essences de bois différentes. Certaines sont plus translucides, d'autres plus résistantes, certaines plus facile à imprégner, d'autres encore plus diffusantes… C'est donc l'utilisation finale qui va dicter le type d'essence à travailler. Pour le SLIM, nous utilisons du sycomore, de l'érable, du tulipier, du frêne, du frêne olivier, du hêtre, etc. Nous utilisons également des bois teintés dans la masse. Le tulipier gris est par exemple très demandé par l'industrie automobile.
D'où vient le bois que vous utilisez ?
Notre objectif est d'utiliser les ressources régionales, d'où l'implémentation de nos sites de production dans la région Grand-Est, première région boisée de France. Mais ça, c'est la théorie. Car en réalité, la filière française de transformation du bois est très fortement sinistrée, car le travail du bois se fait à l'étranger. Par exemple, 95 % des bois nobles français sont exportés vers la Chine où ils sont transformés pour être revendus en Europe sous forme de meubles. D'un point de vue bilan carbone, c'est une catastrophe. Pour les autres bois, la situation est similaire. De ce fait, la majorité des scieries ont périclité, et il est impossible pour nous d'obtenir les essences dont nous avons besoin sous forme de plaquage en France avec du bois français. À l'heure actuelle nous sommes donc contraints d'acheter nos bois essentiellement en Autriche et en Scandinavie. Une partie significative de nos bois vient également du Canada, ce qui n'est malheureusement pas optimal, mais à terme, l'idée est que les essences nord-américaines soient destinées au marché nord-américain et les bois européens au marché européen. Nous sommes encore loin du « local », mais le « régional » sera déjà un pas dans la bonne direction. Car notre objectif est toujours la décarbonation et transporter nos matières premières à travers le globe va à l'encontre de ce principe. Nous travaillons également avec des organismes gouvernementaux sur des projets de revitalisation de la filière du bois français, mais cela va prendre du temps.
Quelles sont les utilisations du SLIM ?
Nous proposons deux grandes familles de solutions avec le SLIM : JASPR et SWITCHR. JASPR regroupe les applications d'affichage digital. Nous installons des murs d'écrans LED que l'on plaque de SLIM. Ce système permet un affichage très esthétique qui permet une communication claire, mais disparait quand il n'est pas utilisé, laissant simplement place à un mur de bois. SWITCHR regroupe les applications tactiles. C'est le cas de panneaux de contrôle dans l'automobile ou l'aéronautique par exemple. En mode éteint, on a un panneau de bois ; allumé, on obtient une interface tactile avec un excellent rendu chromatique qui permet de faire fonctionner n'importe quel appareil. Au quotidien, ce type d'interface tactile peut être implémenté sur de l'électroménager par exemple. Il est également possible d'avoir un retour haptique et aussi de piloter l'interface par de simples mouvements de la main (« gesture control »).
Passons à la seconde famille principale de matériau : le STACK.
Le STACK est fabriqué à partir de feuilles de SLIM, que l'on va superposer et presser à une température d'environ 120 degrés, ce qui est relativement peu énergivore comparé à des chauffes de métaux par exemple. Ce matériau est extrêmement résistant, environ vingt fois plus qu'un morceau de bois natif de même épaisseur, et approche les profils de résistance de l'aluminium.
Quelles sont les applications du STACK ?
En fonction des demandes de nos clients, nous pouvons fournir le STACK en différentes épaisseurs. Il est actuellement utilisé dans l'industrie horlogère de luxe par exemple, pour l'usinage de pièces structurelles de montres comme les boîtiers. Mais nos efforts R&D sur STACK préfigurent son utilisation en matériau de construction comme alternative au béton. L'idée est de pouvoir créer des pièces structurelles telles que des panneaux, des dalles de façades, des pièces porteuses comme des poteaux, etc. La technologie de base est la même, elle doit simplement être extrapolée et validée en termes de dimensions. Le STACK est donc actuellement utilisé principalement dans les domaines du luxe, que ce soit au niveau des accessoires ou des packagings, mais deviendra le matériau de l'industrie et des villes décarbonées de demain.
Un investissement est-il nécessaire du côté de l'industriel qui voudrait utiliser vos matériaux ?
Pas du tout. Le SLIM comme le STACK peuvent être découpés par laser ou jet d'eau et travaillés par les méthodes d'usinage conventionnelles. Il n'y a pas besoin d'outils ou de machines dédiées. Il n'y a pas de contraintes spécifiques à l'utilisation de nos matériaux du côté de l'usinage.
Qu'en est-il du recyclage de vos matériaux ?
Le SLIM et le STACK sont déjà recyclables mécaniquement. Les chutes de production et les produits en fin de vie peuvent être broyés, afin de créer par chauffage et sans ajout de résine, un composite de bois injectable que nous appelons PULP. Ce composite va permettre de créer des objets par injection, comme cela est fait avec d'autres types de composites. Nous avons déjà fabriqué des pièces techniques de vélos, des bouchons de flacons, etc. Le réemploi de chutes de production et de matière en fin de vie nécessite un traçage clair, et la nécessité de travailler avec des plateformes spécialisées dans le recyclage. Cette filière est actuellement en intense développement. Nous souhaitons nous inscrire dans ce mouvement global d'économie circulaire.
Nous avons beaucoup parlé du secteur du luxe, qu'en est-il des applications dans les autres secteurs ?
Nous ne pouvons évidemment pas proposer nos matériaux au même prix que le bois natif, puisque nous proposons du bois « augmenté ». Ce qui est important, c'est de comparer le prix d'un produit fini. Prenons l'exemple de l'implémentation de bois dans une voiture : aujourd'hui, entre la découpe, la mise en forme, les assemblages, les traitements de surface, les ponçages, les vernis, les couches de protection anti-feu, etc… il y a environ 26 étapes pour mettre du bois dans une automobile. Avec notre procédé, le bois va être plus résistant, translucide, et dans une certaine mesure, formable. Il pourra donc être mis en forme directement en usine, et il ne restera qu'à le plaquer dans la voiture. On passe ainsi de 26 à 4 étapes de production. Et bien que le matériau soit plus cher, le produit fini est quant à lui moins onéreux.
On parle ici de bois qui remplace du bois, qu'en est-il des autres matériaux ?
Notre objectif est de se positionner au niveau du coûts des matériaux que l'on souhaite remplacer. Ce qui soulève un point important : les volumes de production. À l'heure actuelle, nous travaillons beaucoup dans le secteur du luxe, pour lesquels les volumes sont limités, mais qui peuvent absorber un surcoût significatif lié à l'esthétique, la naturalité et l'originalité de nos matériaux. Les marchés premium et du luxe sont la première étape qui nous permet de nous développer. Mais à terme, notre objectif étant d'aider l'industrie à se décarboner, nous souhaitons qu'un maximum d'industriels utilisent nos produits. Car pour avoir un vrai impact, il faut des volumes. Les marchés à volumes (automobile, construction…) sont donc des marchés clés.
Observez-vous une réticence à l'utilisation de nouveaux matériaux ?
Au contraire ! Car les industriels n'ont plus le choix. Depuis 5 ans toutes les entreprises du CAC40 annoncent leurs objectifs en neutralité carbone. Cela engendre un énorme intérêt pour les initiatives comme la nôtre. Nous avons tellement de demande que nous devons actuellement choisir les projets sur lesquels nous avons les capacités de travailler.
Vous parlez ici de grands groupes, qu'en est-il du tissu important de PME ?
Nous en revenons au problème des volumes de production, ce qui nous amène pour le moment à travailler principalement avec des grands groupes en effet. Cela nous donne plus de visibilité et d'opportunités. Ces gros acteurs industriels nous donnent les moyens de développer nos innovations et leurs applications. Cela nous permettra à terme d'accéder aux fameux marchés à gros volumes qui nous permettront de générer l'impact que nous souhaitons. Nous souhaitons pouvoir dès que possible proposer nos matériaux sur étagères, prêts à être utilisés par tous les acteurs industriels, quels qu'ils soient.
MSM
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