« Zéro Friction » : l'expérience client pour les PME L'expérience client : un point à ne pas négliger
Related Vendors
Karim Bouras est le fondateur de Nile, une agence aidant les PME industrielles à développer des stratégies de croissance. Il anime également le podcast Industrial Growth et a récemment écrit le livre « Zéro Friction : l'expérience client comme levier de croissance de votre PME industrielle ». Nous avons pu lui poser quelques questions.

Qu'est-ce qui vous a poussé à écrire un livre sur le marketing industriel ?
K. Bouras : Avec mon agence, j'accompagne depuis une dizaine d'années les industriels pour mettre en place des stratégies marketing. Je me suis rendu compte qu'en termes de marketing, ces derniers parlent beaucoup d'innovation, de leurs produits, mais oublient totalement ce qui est lié à la façon de vendre, de traiter ses clients. Les stratégies marketing, si elles existent, sont plutôt « à l'ancienne ».
Qu'entendez-vous exactement par « marketing à l'ancienne » ?
K. Bouras : Je dirais que c'est le fait de centrer sa stratégie uniquement sur le produit, le côté technique et innovation. En réalité, il y a peu de réel marketing dans le milieu industriel. Dans ce domaine, le marketing, c'est mettre en avant son produit par le biais de publicité dans la presse spécialisée et participer à un salon. Ce sont des habitudes, et il y a rarement une vraie stratégie derrière.
À quoi cela est-il dû selon vous ?
K. Bouras : Pendant longtemps, les commerciaux industriels étaient gâtés, les commandes entrantes tombaient sans trop d'efforts, ils n'avaient pas besoin de « chasser » le client. Ils ne se sont pas nécessairement intéressés aux techniques modernes de marketing et de vente, tout simplement car ils n'en avaient jusque-là pas vraiment besoin. Par ailleurs, ce n'est pas une généralité, mais c'est souvent le cas, nombre de commerciaux dans le secteur industriel sont des anciens techniciens ou ingénieurs. Ils n'ont donc pas de formation spécifique en marketing et vente. Ils ont donc, et c'est normal, une vision très technique, très liée au produit. Pour beaucoup d'entre eux, le mot marketing est presque un gros mot, et ils sont parfois réticents à vouloir s'y intéresser de plus près, craignant de tomber dans les travers de certaines techniques de marketing traditionnel. Et ceux qui se lancent sont souvent un peu perdus parmi toutes les méthodes et tactiques existantes. Elles sont alors utilisées sans réelle stratégie et sans cohérence, et sont donc relativement inefficaces.
Alors en quoi l'expérience client peut-elle être un point marketing stratégique ?
K. Bouras : Aujourd'hui, si on se base sur les industriels suisses et européens, la qualité des produits ou machines proposées est excellente. De nos jours, une entreprise qui ne propose pas des produits de haute qualité ne survit pas longtemps. Pour les clients, la qualité du produit est une attente de base, qui n'est presque plus formulée tellement elle est évidente. C'est un peu comme quand vous allez au restaurant, vous partez du principe que la nourriture qui vous sera servie sera bonne sans que vous n'ayez à le demander expressément. Alors évidemment, les industriels doivent proposer constamment de bons produits et innover pour rester au plus haut niveau. Mais en investissant uniquement dans l'innovation et l'amélioration des produits, la marge de progression des affaires de l'entreprise est assez minime. Uniquement avoir un bon produit n'est plus suffisant pour se démarquer de ses concurrents. Il faut donc travailler en parallèle sur un autre levier, celui qui vous rendra plus attractif que vos compétiteurs : proposer une expérience client parfaite.
C'est donc le sujet de votre livre. Que proposez-vous concrètement comme solutions ?
K. Bouras : Je propose une méthodologie complète, basée sur diverses techniques marketing reconnues. Cet ouvrage est principalement destiné aux PME, afin de leur montrer qu'il est possible de développer son entreprise et de saisir de nouvelles opportunités simplement en replaçant le client au centre de ses préoccupations. L'idée est aussi d'apporter aux industriels une cohérence dans leurs techniques de marketing et de vente. La méthodologie en soi est relativement simple : la première chose à faire est de se poser la question suivante : quel(s) problème(s) mon client cherche-t-il à résoudre ? Car quand un client achète un produit ou une machine, il investit pour une bonne raison. Alors il faut évidemment continuer à parler de caractéristiques techniques, mais il faudrait maintenant essayer de chercher à résoudre les problèmes de ses clients dans leur globalité. Un bon point de départ est de cartographier le parcours d'achat du client et d'identifier les points de friction. Ceux-ci sont en général nombreux et ils peuvent être très divers. Par exemple, un client souhaite acheter une machine. Côté technique, c'est parfait, mais au moment de la livraison, il se trouve que la machine ne passe pas par la porte. Ou bien que l'alimentation électrique ne soit pas au bon endroit. Ou alors qu'une fois la machine installée, le service après-vente n'est que difficilement joignable. Il est donc important d'identifier les points de frictions potentiels dès le départ et d'y répondre de façon proactive grâce à des acteurs marketing, par exemple en produisant du contenu qui permet de répondre à certaines problématiques d'utilisation, mettre à jour le site Internet, mais aussi de réévaluer la façon de travailler des commerciaux, de la comptabilité, etc. Retracer le parcours client permet de créer une feuille de route des points à améliorer en interne. Il arrive souvent que des sujets qui n'étaient pas perçus comme étant une priorité le deviennent simplement car ce sont ce qu'on appelle des « quick win ». Ils sont rapides à mettre en place et peuvent rapporter gros.
L'expérience client n'est donc pas uniquement une question de relation humaine…
K. Bouras : En effet. L'importance de la relation humaine, les industriels l'ont en majorité déjà bien comprise. Une fois la relation établie, dans la plupart des cas ça se passe relativement bien. La clé ici est : comment aller encore plus loin ? Prenons par exemple un site Internet industriel lambda. On retrouve quasiment toujours la même chose : nos produits, nos services, notre équipe, nos clients. Alors techniquement c'est instructif, encore que pas toujours, mais finalement, il n'y a pas grand-chose qui apporte de la valeur ajoutée. Or, le potentiel et les opportunités offertes par un bon site Internet sont de nos jours énormes. Peut-être faudrait-il présenter les produits comme répondant à des problèmes concrets. Peut-être aussi savoir expliquer dans quels cas nos produits ne sont pas la meilleure solution. Créer une expérience qui apporte de la valeur, sur une base d'honnêteté et de confiance. Dans ce cas, on est à 100 % dans l'expérience client, et pas du tout dans la relation humaine directe.
Tous types de techniques marketing peuvent donc être utilisées ?
K. Bouras : Ce qui est important c'est la manière et le but dans lequel la technique va être utilisée. En termes de marketing de contenu, si vous créez un blog pour simplement vanter les mérites de vos produits, le retour sur investissement risque d'être minime. Si en revanche vous proposer des vidéos instructives sur l'utilisation de vos machines, vous répondrez à un vrai besoin, à une vraie problématique client. Il faut toujours garder en tête que le but de la manœuvre est d'offrir au client une meilleure expérience. La création de valeur est plus importante que la création de contenu. Un publireportage listant les caractéristiques techniques de votre machine aura ainsi moins d'impact positif qu'un publireportage qui explique comment votre machine a résolu les problématiques de votre client.
À qui cette méthode s'adresse-t-elle exactement ?
K. Bouras : À tous ceux qui sont en lien avec des clients. L'idée est de passer d'un état d'esprit où chacun est concentré indépendamment sur ses propres objectifs, à un état d'esprit où le client est la préoccupation principale de tous. Un point de friction, où qu'il se trouve sur le parcours du client, de l'avant-vente à l'après-vente, peut entraîner la perte d'un contrat. Les solutions pour éliminer les frictions peuvent être implémentées à tous niveaux du parcours. Cela peut être la mise en place de technologies adaptées, la réorganisation des équipes, la définition d'objectifs partagés, etc. Peu importe ce qu'il se passe en interne, cela doit être transparent pour le client.
La méthodologie que vous proposez est-elle universelle ?
K. Bouras : La méthodologie s'applique à tous les domaines, mais j'ai cherché dans ce livre à l'appliquer en particulier aux spécificités du domaine industriel. Je n'ai rien inventé en termes de techniques marketing, mais j'ai travaillé sur les persona spécifiques à l'industrie par exemple. J'ai essayé de transposer pour le secteur industriel les règles de bon sens business qui sont un facteur de réussite pour d'autres entreprises. La qualité de l'expérience client a permis à des entreprises comme Uber ou Amazon de devenir leaders mondiaux dans leurs domaines d'activités respectifs, alors qu'Uber n'est autre qu'un service de taxi, et Amazon une plateforme de vente en ligne d'articles que l'on trouve partout ailleurs. La différence, c'est le niveau de service.
Y a-t-il des points bloquants à la mise en place de cette méthodologie ?
K. Bouras : Le premier point bloquant est lié au fait que de nombreux industriels n'ont à l'heure actuelle pas de CRM digne de ce nom. Le CRM est un système de gestion de la relation client. Dans certaines entreprises, si tant est que quelque chose soit implémenté, il se peut que chaque service ait sa propre base de données client avec les informations dont le service a besoin, sans qu'il n'y ait de lien entre les différentes bases de données et les différentes informations. C'est ainsi qu'un client peut rapidement expérimenter les problèmes de processus internes à l'entreprise. Un exemple auquel tout le monde a déjà fait face : l'appel à un centre de téléphonie mobile et de service Internet. Peu importe le service sur lequel on tombe, il manque toujours un morceau d'information, ou l'information est restée bloquée dans un autre service, etc. Pour s'affranchir de cela, il faudrait que chaque entreprise ait une base de données complète et partagée par tous les services qui sont en lien avec les clients. Cela permet d'avoir une vision globale et un historique complet de la relation client, quelque soit le service concerné, et ainsi de fluidifier la relation client et d'éliminer les potentielles frictions.
Le second point bloquant, c'est la mentalité des personnes impliquées. Il faut accompagner les équipes pour implémenter ce type d'approche qui remet le client au centre. Ce n'est pas toujours simple car au début, cela bouscule les habitudes, le quotidien.
Peut-on tout de même appliquer votre méthodologie dans le cas où on ne possède pas de CRM ?
K. Bouras : Oui, on peut quand même appliquer un certain nombre de choses, mais si on veut vraiment aller au bout de la démarche, c'est une étape quasiment incontournable. Il est nécessaire d'avoir un système de gestion de la relation client. Cela peut très bien être un tableau excel, mais soyons honnête, cela ne tiendra pas sur le long terme, car les gens ne le rempliront pas de manière régulière. La dimension technologique est donc importante si l'on souhaite aller chercher de nouvelles opportunités de business. Un CRM est un investissement important mais c'est une fondation solide pour la suite. Sans cela, on ne peut pas offrir une expérience de qualité à ses clients. Il existe des CRM plus ou moins chers sur le marché, donc en termes de budget, il est possible de démarrer sans devoir investir beaucoup financièrement.
En ce qui concerne l'état d'esprit des gens, que proposez-vous comme solution ?
K. Bouras : Il est indispensable que la direction soit sponsor de la démarche. L'idéal est ensuite d'arriver à identifier en interne la personne qui « porte la voix du client », celle qui va être un peu plus soucieuse de l'expérience client, des process internes, celle qui a envie de changer les choses. Ces profils sont ce que j'appelle des mobilisateurs, et ils ne se trouvent pas nécessairement dans les équipes marketing, bien que ce soit souvent le cas. Cette personne va alors pouvoir commencer à cartographier le parcours du client dans son ensemble. La mise en place d'un atelier réunissant les responsables de service va permettre d'identifier les problèmes qui se sont posés lors de tel ou tel projet. Animer un tel atelier n'est pas extrêmement chronophage et permet de prendre du recul sur les problématiques internes. Pour éviter les conflits entre services, il faut que tous se mettent dans la peau du client. Souvent les gens savent exactement où se trouvent les points de friction mais les passent sous le tapis pour éviter le conflit ou ne froisser personne. Mettre le client au centre de la réflexion permet de mettre tout le monde d'accord.
Il n'est pas toujours facile de se mettre à la place de quelqu'un d'autre : que conseillez-vous ?
K. Bouras : Qui est mieux à même de parler de l'expérience client que le client lui-même. Je conseille de discuter proactivement avec ses clients pour obtenir un retour sur leur expérience. Mais il ne faut pas seulement demander s'ils sont contents du produit. Il faut discuter de ce qui a fonctionné dans le processus complet, et ce qui n'a pas fonctionné. Il faut poser les questions qui fâchent et dont on ne parle pas en temps normal. Y a-t-il eu un moment où vous avez hésité à travailler avec nous ? Avez-vous dû argumenter en interne pour pouvoir travailler avec nous plutôt qu'avec la concurrence ? Pourquoi avez-vous choisi notre proposition plutôt que celle d'un concurrent ? Les réponses à ces questions seront très instructives pour pouvoir travailler à faire vivre une expérience zéro friction à ses clients.
MSM
(ID:48426684)