Dossier : innovation en fabrication additive La fabrication additive en sous-traitance
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3D Precision SA est une société de 5 personnes, créée en 2014. Basée à Delémont dans des locaux de 250 m2, le cœur de métier de ce sous-traitant est la fabrication additive métallique. Nous avons pu discuter des activités de la société et de l'état actuel du domaine de la fabrication additive avec son directeur, Dominique Beuchat.

Pourquoi vous-êtes vous lancé dans le domaine de la fabrication additive métallique ?
J'observais le domaine de la fabrication additive depuis le début des années 2000 et avais la conviction que ce procédé était un procédé d'avenir. Cette conviction n'a pas changé. Seulement à l'époque, j'estimais qu'il était trop tôt pour se lancer. Il faut être conscient du fait que si maintenant l'utilisation de la conception 3D par ordinateur s'est généralisée, à l'émergence des techniques de fabrication additive, très peu d'entreprises en dehors des domaines aéronautique et aérospatial disposaient de ce type d'outils. Ou alors, les images en trois dimensions étaient utilisées comme élément marketing et argument de vente, la conception de ces images n'avait pas du tout pour but la construction des pièces. Depuis l'expansion de la CAO pour la fabrication dans l'industrie aux alentours des années 2010, la fabrication additive, tous matériaux confondus, s'est également démocratisée. Par ailleurs, les matières premières pour la fabrication additive n'étaient que difficilement accessibles. Donc même si les technologies en elles-mêmes étaient matures, elles n'étaient pas encore utilisables en pratique. Et puis en 2014, tous les signaux étaient au vert, tant professionnellement que personnellement. Je pense que nous nous sommes lancés au bon moment, ni trop tôt, ni trop tard.
Quels services offrez-vous à vos clients ?
Chez 3D Precision SA, nous sommes spécialisés dans la fabrication additive métallique. Notre stratégie est de fournir à nos clients une pièce terminée et utilisable. Dans cette optique et bien que la fabrication additive soit le cœur de notre métier, nous disposons d'un atelier mécanique complet. Nous voyons la fabrication additive et l'usinage traditionnel comme complémentaires. La fabrication additive nous permet de sortir une pièce brute, qui par exemple pour un horloger ne sera pas assez précise, mais nous pouvons apporter la précision en finissant la pièce par usinage classique.
Quels sont les marchés dans lesquels vous êtes actifs en tant que sous-traitant ?
Les plus gros volumes de commandes viennent des domaines des machines, systèmes de mesure, outillage, etc., donc plutôt ce qui est manufacture. À côté de ça, nous avons maintenant un pied dans le secteur de l'implant sur-mesure, principalement maxillo-facial, mais les volumes sont encore assez faibles. Nous avons obtenu les normes ISO 9001 et ISO 13485 en 2016 pour démontrer que nos produits sont aptes à être utilisés. Les avantages de la fabrication additive sont bien compris dans le médical, en particulier dans le secteur des implants personnalisés, en pleine expansion. Mais même dans ce cas-là, nous devons prouver la valeur de nos produits. Nous avons faire notre premier implant « implanté » il y a seulement deux ans, car il fallait d'abord être certifié, puis il fallait déjà avoir implanté un produit sur un patient. C'est un peu le serpent qui se mord la queue, mais nous avons fini par y arriver.
De quelles techniques de fabrication additive disposez-vous ?
Actuellement, nous utilisions le procédé de fusion sur lit de poudre uniquement. Nous savons bien qu'il existe plusieurs autres techniques, mais en tant que sous-traitant, ce procédé est le plus polyvalent. À mon sens, l'utilisation des autres techniques a du sens lorsque l'on connait la pièce et qu'on investit spécifiquement pour cette pièce en particulier. Or nous, nous devons être le plus flexible possible. Nous disposons de machines avec une chambre de 250 x 250 x 250 mm, et nous couvrons ainsi quasiment toutes les demandes. Il nous est arrivé d'avoir des demandes pour des pièces plus grandes, mais c'est très rare, en tous cas en Suisse.
Proposez-vous un service de conception assistée par ordinateur ?
À l'origine, c'était l'idée. Mais nous nous sommes rapidement rendu compte que ça ne faisait que peu de sens. Imaginez une discussion client, dans laquelle on vous demande de fabriquer une pièce dont la conception n'est à ce moment précis pas optimisée pour l'impression 3D. Il faut déjà convaincre que la conception doit être modifiée, et puis vous proposez alors un service de conception et éventuellement de simulation, qui aura forcément un prix. Or ce prix, les entreprises ne sont pas prêtes à le payer à chaque fois qu'elles auraient une pièce potentielle à fabriquer, surtout si elles disposent de concepteurs mécaniques en interne. Alors si vraiment nos clients insistent pour avoir ce service, nous travaillons avec des partenaires qui le font, mais nous n'avons plus cette capacité en interne. Notre logique est désormais différente : nous préférons assister et former les concepteurs de nos clients aux règles de la conception pour la fabrication additive. Ils sont ainsi en mesure de voir d'eux-mêmes quelles pièces ont le potentiel à être fabriquées par impression 3D, et reviennent plus facilement et plus souvent vers nous pour la fabrication. Ce support fait partie de notre philosophie de vente, ceci dès les premiers contacts avec de potentiels clients et c'est gagnant-gagnant.
Dis comme cela, concevoir pour la fabrication semble simple ; qu'en est-il en réalité ?
Il existe des outils ou modules spécifiques de conception pour l'impression 3D, des outils d'optimisation topologiques par exemple, mais dans 95 % des cas, ces outils ne sont pas nécessaires pour concevoir correctement une pièce dédiée à la fabrication additive. Il existe une dizaine de « règles » dont il faut tenir compte en conception pour optimiser une pièce pour l'impression 3D. Ce sont ces astuces que nous essayons d'inculquer à nos clients.
Quelles sont les réactions des concepteurs à cette nouvelle manière de concevoir une pièce ?
Le schéma classique est le suivant : nous réunissons les concepteurs chez le client, et faisons une mini-formation. Nous expliquons les principes de la fabrication additive, montrons des exemples de pièces pour expliquer ce qu'il est faisable d'obtenir, puis on demande aux concepteurs ce qu'ils en pensent et s'ils voient comment appliquer les principes énoncés sur leurs produits. En général, nous nous heurtons à un gros blanc. Le déclic apparait quand on regarde leurs produits avec eux. Alors on leur suggère une manière différente d'appréhender la fabrication de la pièce, comme fabriquer d'un seul tenant pour éviter un joint, en s'appuyant sur les exemples que l'on a montré juste avant. À partir de là, la réflexion commence et on avance. Donc au-delà de la conception, l'enjeu est la compréhension du champ des possibles. Mais cela prend souvent du temps. Et puis disons que si vous avez dix concepteurs présents, tout le monde aura trouvé cela très intéressant, mais 9 d'entre eux retourneront à leurs habitudes de conception, parce que ça marche, alors pourquoi s'embêter. C'est humain, c'est comme ça. Mais il y en aura un qui aura vraiment accroché. Alors là, soit il finit par se décourager parce qu'il est le seul à s'investir dans ce sens, soit le projet se termine avec succès, et là tout le monde monte à bord du bateau.
Il y a donc encore beaucoup de scepticisme face aux résultats de la fabrication additive ?
L'adhésion à la fabrication additive, c'est un peu tout noir ou tout blanc pour le moment, on accroche ou on n'accroche pas. Parfois nous avons des demandes, des projets qui ont été jugés impossible pour tout le monde, et on vient nous voir un peu en dernier espoir, mais sans vraiment y croire non plus. Et là, soit on arrive à mener ce projet à bout, soit on n'y arrive pas et là vous pouvez être sûr de la réaction : « Ah et bien vous voyez, on le savait bien que l'impression 3D n'y arriverait pas non plus. »
Ce scepticisme est-il local ou global ?
Pour me faire une idée plus précise du l'évolution du secteur dans sa globalité, j'ai récemment pris l'initiative d'aller chercher des chiffres sur la fabrication additive. Il y en a peu, mais j'ai pu trouver les rapports financiers de deux des plus importants fabricants de machines d'impression 3D. Il faut savoir que SLM Solutions a un taux de croissance sur les 8 dernières années de seulement 6 % en moyenne, et 3D Systems d'environ -2 % si on ne tient pas compte des années de pandémie. Ce n'est donc pas faramineux.
Quelles sont les raisons que vous voyez à la faible évolution de la démocratisation de la fabrication additive ?
L'un des gros freins au développement de la fabrication additive est le manque de volume de production. On lit beaucoup d'articles dithyrambiques sur l'impression 3D, et les gens pensent que c'est une industrie en plein boom, mais le fait est que son expansion prend beaucoup de temps. Moi-même je suis un peu frustré, je pensais que ça irait plus vite. Mais oui, la fabrication additive est un procédé d'avenir.
Il y a un d'abord un problème de mésinformation. Peu de personnes savent exactement ce que propose la fabrication additive. Dans l'industrie, nombreux sont également ceux qui pensent que les pièces fabriquées avec l'impression métallique 3D sont poreuses.
Au niveau des applications, on dit par exemple que la fabrication additive est parfaite pour le service après-vente de vieilles machines. En théorie, oui, mais pour la fabrication additive, il faut un fichier de conception 3D. Or, ces fichiers n'existent pas pour ce type de machines ou de pièces et il faut d'abord commencer par les créer, ce que les gens ont parfois tendance à oublier.
Et puis nous sommes dans la phase dans laquelle les concepteurs actuellement sur le terrain ne sont pas nécessairement ouverts à changer leurs habitudes. C'est un trait propre à l'être humain, et le processus d'évolution est très chronophage. Je fais partie du Swiss Additive Manufacturing Group (SAMG) de Swissmem et il y a quelques temps déjà, nous nous étions rendu compte qu'un des points cruciaux était la formation des entreprises, et de leurs employés. Nous avons donc demandé aux entreprises de Swissmem si elles étaient intéressées par ce genre de formation, et les réponses étaient extrêmement positives. Nous avons donc mis en place plusieurs formations de quelques jours, à un prix tout à fait raisonnable, et nous avons dû les annuler quasiment toutes, car il n'y avait presque pas d'inscrits. On est donc face à un très grand paradoxe. Mais ce n'est pas propre à la Suisse, je sais par certains de mes contacts que la situation est identique en Allemagne et en Autriche par exemple. Une bonne chose est la mise en place de formation spécifiques dans les écoles et les universités. Les jeunes qui arrivent sur le terrain sont déjà prêt à aborder la fabrication additive. Je pense donc que la mentalité devrait beaucoup évoluer dans les prochaines années, car c'est ce qui se passe en amont de la fabrication qui est important, la réflexion, la conception, la préparation des fichiers, c'est là que se situe le savoir-faire, tout comme en usinage classique d'ailleurs.
Vous ne mentionnez pas l'évolution des technologies…
La différence de résultat enter une machine d'aujourd'hui et une machine d'il y a 8 ans est assez minime. L'évolution des technologies est lente. Alors oui, on a plus de capteurs, de suivi en cours de fabrication, mais le gain n'est pour le moment pas énorme. Ce n'est donc pas de mon avis un point bloquant majeur. Et puis les machines sont faites de telle manière qu'elles soient conviviales. Opérer une machine sur la base des choix qui ont été opérés par les techniciens spécialisés en amont s'apprend assez facilement.
Comptez-vous alors investir dans d'autres technologies de fabrication additive dans le futur ?
Investir, c'est bien, mais il ne faut pas le faire n'importe comment. Quand nous avons créé l'entreprise, nous avons investi 1,2 millions de francs, alors que nous n'avions pas encore de clients ! Mais nous devions avoir la possibilité de produire pour pouvoir montrer à nos prospects ce que nous étions capables de faire. Installer un atelier dédié à la fabrication additive représente donc un investissement important, entre les machines, les périphériques, etc. En l'état actuel des choses, nous sommes déjà très polyvalents. Maintenant en termes d'investissements, cela va dépendre des projets que nous aurons et des volumes à générer. En effet, certains procédés seront plus avantageux pour une production en série, mais encore faut-il que cette production ait lieu. Nous produisons déjà des pièces de séries à plus de 6000 exemplaires par année et nous pouvons démarrer en tout temps de nouveaux projets avec les moyens dont nous disposons déjà. Mais selon les volumes à venir, il est probable que certaines pièces soient transférées sur un autre procédé de fabrication additive, en évaluant les avantages et les inconvénients, et en connaissant le volume de production à atteindre, ce qui peut prendre plusieurs années. Le jour où un tel projet sera en cours, comme des consommables pour l'industrie médicale par exemple, on se lancera probablement dans de nouvelles technologies de fabrication additive, mais avant cela, un tel investissement n'est pas justifié. En revanche, ce que je vois de plus probable à moyen terme, c'est l'investissement dans une chaîne de lavage pour les produits destinés à l'industrie médicale. Nos clients recherchent de plus en plus l'opportunité de travailler avec un partenaire unique, et intégré cette possibilité à notre portfolio nous serait bénéfique.
On a beaucoup parlé de l'importance de la réflexion au niveau de la conception, quel rôle joue la simulation ?
Il est important de connaître les capacités de la fabrication additive, comment réagisse les matériaux en déformation, comment réagissent certaines géométries, etc. pour préparer les pièces à fabriquer avec leur support notamment. Cela évite les mauvaises surprises lors e la fabrication. Mais nous ne pouvons pas nous permettre de faire des simulations pour chaque pièce, car cela prend beaucoup de temps. Nous le faisons par exemple pour les implants sur mesure, car nous n'avons pas de marge d'erreur sur ce type de produit. Les délais exigés sont très courts. Une simulation de pré-déformation, c'est trois heures. Ça ne veut pas dire qu'on ne simule aucune autre pièce, mais avec l'expérience, on peut décider quelle pièce doit être simulée et pour quelle pièce cela n'est pas nécessaire.
Et qu'en est-il des matériaux ?
Disons que notre palette est suffisamment large pour toucher tous les marchés, mais les fournisseurs de poudre ont une palette assez restreinte par rapport à ce qui est disponible pour de l'usinage traditionnel, tout simplement car la demande est trop faible. Il y a aussi parfois des limites physiques. On ne trouve par exemple pas de poudre de métaux durs, soit à plus de 60HRC.
Alors quand les clients nous demandent un matériau spécifique, notre première question est pourquoi. Dans de nombreux cas, on peut proposer une alternative qui couvre les mêmes besoins, mais coûtera moins cher. Un exemple, celui du laiton. L'avantage du laiton en usinage traditionnel est sa facilité d'usinage justement, mais dont on est affranchi en fabrication additive. Et la poudre de laiton est plus chère que d'autres matériaux, qui rempliront alors parfaitement les spécifications de la pièce.
Un autre exemple, celui du cuivre. Nous proposons des pièces en cuivre d'une densité de 95 %. Pour un projet d'inducteurs en cuivre, projet parfaitement adapté à la fabrication additive en l'occurrence, le client nous demandait 99,9 %, car c'était la densité de son matériau de base pour une fabrication classique. Sauf qu'un fois travaillé et mis en forme, personne ne savait vraiment la densité réelle de l'inducteur fini. Alors qu'avec la fabrication additive, on peut garantir une densité homogène, une épaisseur régulière, etc. Au final, l'inducteur fabriqué par notre procédé dispose d'une durée de vie plus longue qu'un inducteur fabriqué de manière traditionnelle.
L'ouverture d'esprit est donc un point clé à l'avènement de la fabrication additive.
Tout ça fait, il faut absolument être ouvert à discussion. Il y a de nombreux avantages à ces procédés. Mais pas pour tout. Il faut savoir orienter les clients pour les aider à voir les produits pour lesquels la fabrication additive va créer une vraie valeur ajoutée, et ceux pour lesquels ce n'est pas le cas.
En résumé, la plus grande innovation en fabrication additive sera liée à un facteur humain plutôt que technique, qui est déjà bien mature. Le message à faire passer est : « Formez vos collaborateurs, faites en sorte qu'ils soient curieux et inventifs pour créer vos nouveaux produits et solutionner leurs problèmes. » MSM
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