Interview de Marc Schuler, directeur général de Dixi Polytool Innovation et écologie : le duo gagnant
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Marc Schuler, directeur général de Dixi Polytool, nous a accordé une interview lors de l'EPHJ 2023 afin de nous parler des innovations et projets en cours, ainsi que de la vision de l'entreprise pour les prochaines années. Un but clair, précis, dont il ne reste plus que les jalons à franchir.

Que présentez-vous cette année à l'EPHJ et qu'escomptez-vous comme retour ?
L'EPHJ est pour nous plus une plateforme de rencontre avec nos clients locaux que de présentation de nouveaux produits, tâche que remplissent parfaitement les technico-commerciaux de Dixi Polytool au quotidien. Il va néanmoins de soi que nous présentons sur notre stand nos derniers produits. Aujourd'hui nous mettons en avant notre système patenté COOL+, qui est notre plus gros développement des dix dernières années et dont nous attendons beaucoup. Ce système couvre de plus en plus de d'outils de notre catalogue, au niveau fraisage, tourbillonage et même PCD. Nous avons également beaucoup investi dans le domaine des outils polycristallins justement, et avons focalisé 100 % de notre production en Suisse sur le domaine horloger.
Pouvez-vous nous parler du développement du système COOL+ ?
Le système COOL+ a été lancé officiellement en 2021, ce qui n'était honnêtement pas la meilleure période pour le lancement d'un produit qui, du fait de sa particularité, nécessite souvent dans un premier temps la présence d'un technicien d'applications ou d'un responsable produit afin d'accompagner l'opérateur sur la machine. En effet, les paramètres de coupe des outils équipés de ce système sont significativement plus élevés que ceux d'outils « traditionnels », et parfois les opérateurs peuvent être réticents à appliquer ces paramètres.
Quel est le retour client concernant ce développement ?
En général, un nouveau produit va engendrer une amélioration dans le processus du client dans en moyenne 70 % des cas. Dans 10 % des cas, l'implémentation de ce produit ne sera pas possible, pour des raisons X ou Y, et dans le reste des cas, le résultat sera simplement équivalent à ce qui est déjà en place. En ce qui concerne le système COOL+, nous sommes à une amélioration du processus de fabrication dans 100 % des cas. En 25 ans dans l'entreprise, je n'avais encore jamais vu cela. Nous-mêmes sommes surpris, car évidemment nous avons testé ce système, mais nous n'avons pas à disposition toute la panoplie de machines et de configurations existantes chez les clients, et il reste forcément des zones d'ombre.
Quels sont les outils actuellement équipés de ce système ?
Nous avons commencé avec deux gammes de fraises, 2 dents et 3 dents, dont est partie la demande de brevet. Nous avons ensuite implémenté avec succès le système sur des outils pour le tourbillonage, grâce à l'appui de clients chez qui nous avons pu faire des essais. Nous avons intégré COOL+ dans une gamme en PCD avec la même réussite, et sommes en train de décliner nombres de nos outils avec ce système. D'ici la fin des vacances d'été, nous allons lancer la gamme des gros diamètres, ce qui va nous permettre d'atteindre d'autres secteurs d'applications dans le medtech ou l'aéronautique par exemple.
À terme, souhaitez-vous implémenter ce système sur tous les outils de votre catalogue ?
Implémenter COOL+ pour les outils de perçage ne fait aucun sens, mais pour tout ce qui concerne le fraisage, le tourbillonage et les outils PCD, le système offre un avantage très clair. Nous conseillons en particulier COOL+ pour l'usinage de matériaux difficiles, notamment le titane et les inox. Nous escomptons qu'une majeure partie de notre croissance bascule sur les outils équipés de ce système dans les prochaines années. Cela se fera en parallèle du développement par les fabricants de machines-outils de machines équipées de l'arrosage central, et de l'investissement des clients dans ces machines.
Que représente la vente des outils COOL+ à l'heure actuelle ?
Pour le moment, les outils COOL+ ne représente qu'une petite partie de nos ventes. Mais au-delà de l'aspect financier, ce développement a eu un impact inattendu sur l'image de l'entreprise. Nous sommes considérés comme une entreprise novatrice, récompensée en 2022 par 5 prix, deux au SIMODEC, un à Micronora, le SMM Award 2022 et le Digital Journey 2022 du CSEM. En outre, cette image dorée et cette reconnaissance sont sources de motivation pour le personnel de l'entreprise.
Parlons justement du Digital Journey du CSEM : pouvez-vous nous détailler le projet ?
Être lauréat du Digital Journey nous permet de bénéficier de l'expertise du CSEM en équivalence financière de 100 000 CHF. Le projet est le développement d'une cellule de production 100 % autonome englobant toutes les étapes du processus, de la préparation des matériaux au conditionnement. L'idée est d'avancer étape par étape, en commençant par le bloc taillage/affûtage/contrôle, puis en ajoutant le bloc rectification/contrôle et tri/transfert sur la machine de taillage/affûtage. Le point de contrôle et de tri de petits-outils est relativement compliqué, pas à cause du dimensionnel mais de la microfissure, et il faut donc mettre en place un système de vision industrielle basé sur de l'intelligence artificielle entraîné sur un nombre conséquent de données qu'il faut tout d'abord générer. En fin de chaîne il y aura ensuite le nettoyage, l'emballage, et l'étiquetage de l'outil, qui sera alors prêt à être envoyé. Le projet a démarré en début d'année, la tailleuse/affûteuse Rollomatic est installée chez nous depuis deux semaines, le développement est en cours. Nous espérons un projet dont les premières étapes seront opérationnelles d'ici la fin de 2024.
Comment réagit le personnel de production face à ce type de projet ?
L'automatisation de la production est un point essentiel pour toute entreprise en croissance. Nous travaillons actuellement en 5 équipes, les trois équipes traditionnelles en 3/8 et deux équipes VSD jour et nuit, qui travaille 3 fois 10 heures du vendredi au dimanche. Notre parc machine tourne ainsi 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Une ligne de production autonome s'applique aux grandes séries, ce qui n'est pas le plus intéressant pour un opérateur. Et dans le cadre d'une augmentation d'activités, l'implémentation de ce type de ligne n'a que peu d'impact sur le personnel déjà en place. Il est donc particulièrement important de communiquer ouvertement lors de la mise en place de projet comme celui-ci, afin de rassurer le personnel et que l'implémentation se passe au mieux.
Aviez-vous déjà travaillé en partenariat avec des institutions comme le CSEM ?
Nous sommes actuellement en phase finale d'un projet d'environ deux ans avec un doctorant de l'Université de Genève sur le développement d'un algorithme pour l'optimisation de notre processus logistique dans le cadre de l'optimisation permanente lean de l'entreprise. Nous recherchons de plus en plus ce genre de partenariat, qui nous permettent de profiter d'expertise et de découvrir des talents que nous pourrions embaucher par la suite.
Êtes-vous également confronté à des difficultés d'embauche ? Comment attirez-vous les talents ?
Trouver du personnel qualifié et compétent est en effet un peu plus compliqué qu'il y a quelques années, mais nous y arrivons. Nous mettons en avant le fait d'avoir une belle usine avec un parc machines moderne. Nous ouvrons régulièrement nos portes aux écoles et aux autres entreprises, notamment pour découvrir notre projet lean. Comme nous en avons parlé précédemment, nous nous appuyons sur notre statut d'innovateurs. Nous communiquons de manière conséquente sur les réseaux sociaux. Le fait que nous soyons liés à la convention horlogère plutôt qu'à celle de l'industrie des machines est également un avantage. Cela remonte au fait qu'entre 1978 et 1999, Dixi était propriétaire de Zenith. Nous avons également obtenu il y a quelques années la certification « Fair on pay » : nous avons désormais des grilles de salaire en fonction des postes, ce qui évite les inégalités salariales. Et puis le bien-être des employés est un point clé chez Dixi. Nous avons des places disponibles pour les matchs de foot, de hockey ou de volley, nous mettons tous les mardis des caisses de fruits à disposition, et offrons une fois par semaine des massages dans l'entreprise.
Que recherchez-vous chez un(e) candidat(e) ?
Il est clair que nous recherchons d'abord une qualification donnée. Évidemment, nous recherchons des employés loyaux, mais même si c'est un point qui sent rapidement pendant la période d'essai, c'est impossible à évaluer pendant un entretien d'embauche. Suivant les postes, un naturel curieux et ouvert est indispensable. Et puis dans le cadre d'une gestion lean, il est important de pouvoir travailler en équipe. Jouer solo, c'est un point éliminant. Nous aimerions bien également recruter plus de femmes, mais c'est difficile car elles sont rares dans le domaine de la mécanique.
Égalité salariale, inclusivité, bien-être des employés : pour continuer dans les grands débats sociaux actuels, que mettez-vous en place en tant qu'entreprise pour réduire votre impact environnemental ?
Nous nous penchons sur le sujet depuis plusieurs années déjà et avons divers projets en cours. En 2019, nous avons créé un groupe écolo d'une dizaine de personnes au sein de l'entreprise. Un certain nombre d'actions avaient été entamées, rapidement freinées par la crise sanitaire. Le début de la guerre en Ukraine a redonné un coup de fouet à ces activités, et nous avons alors partagé ce groupe en trois groupes de travail : infrastructures, dont je fais partie avec le directeur technique et deux employés, mobilité, et daily business.
Quelles améliorations amenez-vous en termes d'infrastructures ?
Au niveau infrastructures, nous sommes en train d'installer 6398 m2 de panneaux photovoltaïques sur la toiture, soit environ 3000 panneaux, qui couvriront environ un tiers de notre consommation. Comme nous travaillons 7 jours sur 7, l'électricité produite le weekend sera également utilisée, ce qui signifie que nous allons utiliser quasiment 100 % de ce que nous produirons. Par ailleurs, nous avons souhaité pousser la conscience écologique jusqu'au bout en achetant des panneaux suisses et des onduleurs européens, afin de rester en circuit le plus court possible. Alors en effet, l'investissement de départ est plus important, mais d'après les calculs de l'expert, le kilowattheure nous coûtera moins de 6 centimes. Cette station solaire devrait être prête fin juillet. Nous avons également demandé à un consultant spécialisé d'analyser notre situation et de lister tous les points d'économies d'énergie possible. Sur cette base, nous avons un double projet en cours concernant la récupération de la chaleur du compresseur et de la chaleur du groupe froid pour le chauffage des bâtiments. Les calculs montrent, marges incluses, que nous aurons un retour sur investissement de moins de deux ans sur ce projet. Nous sommes également en train discussion avec les fabricants de nos machines et de nos systèmes d'aspiration, afin de réduire au maximum la perte d'énergie lors de la mise en stand-by des machines en fin de production, et d'optimiser la gestion de l'aspiration, qui actuellement tourne au même niveau qu'une production soit en cours ou non.
Avez-vous autant de projet concernant la mobilité ?
En ce qui concerne la mobilité, c'est un peu plus compliqué, car cela ne dépend pas que de nous. Nous sommes en discussion avec la commune entre autres, pour voir ce que nous pourrions mettre en place. L'incitation à prendre les transports en commun via la prise en charge partielle du prix d'un abonnement n'est une solution que si les réseaux sont bons. Il est impossible de comparer la situation d'une entreprise située dans ou en périphérie proche d'une grand ville telle que Genève ou Zurich, et notre entreprise au Locle. Pour venir au Locle en transport, ce n'est pas toujours simple et en fonction d'où l'on vient, ça peut prendre deux à trois fois plus de temps qu'en voiture. Cela engendre également des problèmes au niveau du nombre de place de parc disponible. C'est facile de tenir des grandes théories et de taper sur les gens qui prennent la voiture, mais dans certains cas, ce n'est pas si simple. Il faut travailler sur les infrastructures globales et sur des solutions incitatives plutôt que des solutions punitives si on veut motiver les gens à changer leurs habitudes. D'autant que les solutions punitives ne résolvent pas les problèmes. Et puis on peut être écolo sans être extrémiste, il faut apprendre à jongler et à réduire de manière efficace ses émissions en travaillant sur les différents points du quotidien avec un maximum de bon sens.
En parlant de quotidien : sur quoi se focalise le groupe de travail daily business ?
Ce groupe se focalise sur les détails tels que l'élimination des gobelets jetables, la réduction des emballages plastiques, de l'utilisation de papier, le recyclage, le packaging des outils, etc. Nous avons par exemple fait un essai pour nos emballages d'outils avec un matériau à base de cellulose de maïs, mais qui n'a malheureusement pas été fructueux. Une partie des actions de ce groupe est facilement transposable à la maison. Nous essayons de montrer à nos employés qu'un changement vers un monde plus écologique est possible. Nous souhaitons montrer l'exemple, et espérons aider à l'évolution des mentalités dans ce sens, que nos employés appliquent aussi certaines choses dans leur quotidien en dehors du travail. Nous avons par exemple négocié avec l'installateur de station solaire des conditions spéciales pour les employés qui voudraient en installer une chez eux. Je l'ai fait moi-même. Et bien que le choix des panneaux restent à la liberté de chacun, j'ai également pris les panneaux solaires Meyer Burger développés en partenariat avec le CSEM pour mon installation. L'important est d'inciter à faire un pas dans la bonne direction, car ce sont les petites pierres qui font les grands édifices.
Comment voyez-vous l'évolution de la transition écologique au niveau industriel ?
Je suis convaincu que les objectifs de réduction du CO2 seront atteints beaucoup plus vite par les industriels que par l'État, tout simplement parce que nous pouvons prendre des décisions bien plus rapidement, et surtout parce qu'on voit le retour sur investissement très rapidement. Investir dans des solutions écologiques a souvent un effet positif sur les finances à relativement court terme. Pour les industriels, les premiers gros projets écologiques sont très rémunérateurs, ce qui en soit est une énorme motivation de changement pour tout chef d'entreprise.
Pour conclure, où sera Dixi dans les 5 à 10 prochaines années ?
Notre feuille de route pour 2021-2031 a pour but le doublement de nos activités en termes de volumes de production. Le développement de nouveaux produits, acquisitions de sites de production et ouverture de succursales, principalement en Europe, font partie des jalons. Nous avons très fortement développé nos activités en France ces dernières années et sommes actuellement très actifs sur le développement du marché aux Pays-Bas, où le secteur de la fabrication de petites pièces pour le secteur électronique est très développé. Nous investissons également beaucoup en Allemagne, nous avons commencé à investir en Autriche et en Espagne, et avons ouvert notre première succursale en Belgique. Nous appliquons une stratégie de l'escargot, c'est-à-dire que nous nous développons en cercle de plus en plus large autour de notre centre névralgique en Suisse. Nos marchés cibles sont des marchés de niches qui sont suffisamment bien développés en Europe, et bien que nous soyons également actifs dans d'autres régions du monde, l'Europe est notre focus. MSM
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