Dossier : le plastique dans tous ses états De l'océan au quotidien : les matières plastiques OBP

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OBP signifie Ocean Bound Plastic. Redonner vie à ces matières tout en nettoyant les océans, c'est le cœur de métier de l'entreprise Tide Ocean SA. De la création d'un processus de recyclage unique à la mise en place de la chaîne d'approvisionnement, tout repose sur le respect des hommes et de la planète. Le plastique, oui, mais pas n'importe comment. Marc Krebs, co-fondateur de l'entreprise, nous en dit plus.

Collecte de bouteilles en plastique dans la mer d'Andaman, en Asie du Sud-Est.
Collecte de bouteilles en plastique dans la mer d'Andaman, en Asie du Sud-Est.
(Source : Tide Ocean SA)

Comment est né Tide Ocean ?

Mon ami et co-fondateur, Thomas Schori, est PDG de Braloba SA, une entreprise suisse spécialisée dans la fabrication de bracelets pour l'horlogerie. Après avoir regardé un documentaire traitant de la problématique du plastique dans les océans, il s'est demandé s'il était possible de traiter ces déchets de telle manière à ce qu'ils soient réutilisables, en l'occurrence pour fabriquer des bracelets de montre. Lorsqu'il m'a parlé de son idée, j'étais à la fois intrigué et fasciné par le défi qu'elle représentait et pour j'ai décidé de me joindre à l'aventure. Tide Ocean est donc née sous forme de projet au sein de l'entreprise Braloba. Nos travaux ont ensuite rapidement suscité l'intérêt d'autres industries que l'horlogerie et nous avons décidé de cofonder une société à part entière, dont j'ai pris les rênes de la communication et du marketing.

Partant de zéro, quelles ont été les premières étapes à franchir ?

Nous sommes entrés en contact avec les chercheurs de l'IWK, un institut de recherche spécialisé dans le traitement des matières plastiques (Institut für Werkstofftechnik und Kunststoffverarbeitung, ndlr). Nous avons étudié ensemble les possibilités de transformer ces déchets plastiques issus des océans en une matière réutilisable de qualité. La qualité était très importante, car nous voulions absolument éviter que notre produit se retrouve à nouveau dans l'eau. C'est ainsi que nous avons développé le processus mécanique de recyclage qui nous a permis d'obtenir notre matériau.

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Avez-vous rencontré des difficultés particulières pendant ce développement ?

Au niveau de la collecte du plastique, nous avons un peu tâtonner. Le premier container de déchets plastiques que nous avons récupéré était tout bonnement inutilisable. Les déchets étaient particulièrement sales et s'en dégageait une horrible odeur de poisson ! Impossible d'en faire quoi que ce soit. Il a donc fallu trouver une solution pour trier les déchets et les nettoyer. Le processus complet a pris entre un et deux ans, mais grâce à notre réseau existant dans le secteur horloger, nous avons tout de même pu lancer notre premier produit après une année. Nous avons créé notre site Internet, raconté notre histoire et à notre grande surprise mais aussi à notre grand soulagement, la nouvelle s'est répandue très rapidement.

Dans quels secteurs industriels êtes-vous désormais actifs ?

Nous sommes en contact avec tous les domaines qui utilisent du plastique. Nous fournissons des granulés, du fil, et du filament pour impression 3D. Avec ces trois formats de base sont fabriqués par exemple des sacs, des couvertures de livre, des brosses à dents, des contenants réutilisables, et même des sex toys ! Nous sommes actuellement en discussion avec des acteurs de l'industrie de l'emballage et de l'automobile. Notre réseau s'agrandit et nos applications se diversifient.

Comment est organisée votre chaîne logistique ?

Nous voulions absolument mettre en place une chaîne logistique solide et en adéquation avec les valeurs de l'entreprise. Nous essayons par exemple de créer des circuits aussi courts que possible, afin de réduire au maximum notre impact environnemental. Les sites principaux sur lesquels nous collectons le plastique se situent en Asie du Sud-Est, principalement en Thaïlande et aux Philippines. Nous avons donc exporté notre savoir-faire en ce qui concerne le recyclage afin de pouvoir fournir notre matériau aux clients qui produisent en Asie sans lui faire traverser le globe. Nous sommes actuellement en train de mettre en place une nouvelle chaîne logistique pour le continent américain, avec des points de collecte au Mexique.

Pourquoi avoir focalisé vos activités initiales sur l'Asie du Sud-Est ?

C'est dans cette région du globe que la problématique de la pollution des océans par les plastiques est la plus importante. En effet, il est estimé que 80 % du plastique mondial finit dans ces pays. Pendant de nombreuses années, les pays développés ont payé les pays pauvres ou en développement afin qu'ils traitent les déchets plastiques et dans ce cas on parle surtout d'incinération. Le problème de la gestion des déchets a donc simplement été exporté d'un pays à un autre. Or, la corruption sévissant, l'argent a disparu, et les déchets plastiques se sont amoncelés dans des déchetteries à ciel ouvert. Une autre partie du plastique terminant son périple en Asie du Sud-Est est amenée par les courants. Nous collectons par exemple beaucoup de bouteilles venant d'Inde, comme le prouvent les étiquettes, qui après avoir traversé le golfe du ­Bengale se retrouvent sur les côtes de la Mer d'Andaman. Nettoyer les océans fait partie de nos missions, mais nous avons également une mission sociale.

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Quelles sont les actions sociales mises en place ?

Prenons l'exemple de la Thaïlande : nous collaborons avec la fondation suisse Jan & Oscar qui gère l'entreprise sociale Ranong Recycle for Environment (RRE). Cette entreprise fournit des emplois aux personnes défavorisées de la région. Les Moken par exemple sont une communauté traditionnellement nomade de pêcheurs. Leur mode de vie et de revenus sont menacés, non seulement par la pollution plastique des eaux, mais également par l'industrie de la pêche, qui vient vider à grands coups de filets les eaux dans lesquels les Moken pêchent. RRE rémunère donc ces personnes pour un kilo de plastique autant que ce qu'elles auraient gagné pour un kilo de poisson sur le marché local. Afin d'être considéré comme Ocean Bound, le plastique ne doit pas être récupéré en mer, mais à proximité de la côte et des plages. Nous avons également instruit ces personnes sur les caractéristiques des plastiques que nous recherchons, car nous ne sommes pas en mesure de traiter les contenants d'huile ou trop sales par exemple.

Qu'advient-il ensuite de ce plastique ?

Nous trions les différents types de plastiques, tels que le PET, le PE, etc., et les séparons également par couleurs. C'est beaucoup de travail, mais grâce à ces actions, notre entreprise a aussi un impact social. Vient ensuite le processus mécanique de recyclage, qui comme son nom l'indique ne nécessite aucune action chimique. Nous avons trouvé un centre de recyclage à Bangkok en mesure d'utiliser les machines avec les paramètres appropriés et de fabriquer ainsi les granulés de matériau recyclé pour le marché asiatique.

Qu'en est-il du marché européen ?

Nous possédons également des infrastructures pour la fabrication de granulés en Europe et en Suisse. Le filament 3D est produit en Suisse par une entreprise spécialisée, le fil en Thaïlande pour le marché asiatique, mais aussi en Allemagne et bientôt en Italie pour le marché européen. Nous essayons de fournir à nos clients un matériau fabriqué au plus près de leurs usines de transformation.

Comment a évolué la demande de votre produit depuis son lancement ?

Au départ, les marques nous approchaient directement et instruisaient leurs chaînes logistiques pour qu'elles s'approvisionnent chez nous et utilisent notre matériau. Nous recevons désormais de plus en plus de demandes des usines elles-mêmes, car elles souhaitent pouvoir proposer directement le matériau à leurs clients. L'un de nos clients, ­SeaCliff Beauty, produit par exemple des emballages pour l'industrie cosmétique, y compris de luxe. Jusqu'à présent, leurs produits étaient fabriqués à partir de plastiques vierges. Leur souhait est désormais de remplacer tous leurs plastiques par notre matériau.

Qu'en est-il des propriétés mécaniques de votre matériau ?

Comme nous recyclons des matières plastiques pures, les caractéristiques techniques de notre matériau sous forme de granulés sont à 90 % identiques à celle du plastique vierge. Cela tient en partie à notre processus de recyclage, mécanique et non chimique, qui inclut différentes étapes comme le broyage, le chauffage, le dégazage, etc.

Qu'en est-il des possibilités de recyclage de votre matériau ?

En théorie, notre matériau est recyclable. Il y a néanmoins deux paramètres à prendre en compte. Le premier est la récupération du matériau. Dans certains produits, il est associé à d'autres matières. Il faudrait donc avoir une chaîne logistique de récupération des produits et de séparation des différentes matières dans le but d'un recyclage. Pour les produits qui sont fabriqués à 100 % avec notre matériau, certains clients - la minortié, nous demandent si nous reprenons les produits, et nous le faisons volontiers. La marque de sous-vêtements et de mode balnéaire italienne Yamamay par exemple, a créé une collection de bikinis entièrement fabriquée avec notre fil. Cette marque offre à ses clientes l'opportunité de ramener leur bikini en magasin lorsqu'elles estiment qu'il est passé de mode, et nous le récupérons pour le recycler.

Le deuxième point est la présence d'additifs dans le matériau. En effet, nous fournissons un matériau brut, dans lequel nos clients peuvent ajouter des additifs selon leurs besoins : couleur, anti-UV, antibactérien, etc. Dès lors, le recyclage de la matière devient bien plus compliqué.

Au niveau prix, où vous situez-vous ?

Il est évident que le prix de notre matériau est légèrement plus élevé que celui du plastique vierge. Mais il doit l'être. En effet, nous souhaitons que chaque étape de notre chaîne de valeurs, de la collection du plastique à la fabrication du matériau, soit rémunérée correctement. Redonner une valeur aux déchets plastiques signifie également payer de manière juste tous les intervenants de la chaîne. Voilà ce que la durabilité signifie aussi pour nous.

Comment contrebalancez-vous la discussion lorsque l'on vous dit que le produit est trop cher ?

Nous expliquons simplement nos principes, nos valeurs et notre histoire. Il arrive que le prix soit un argument non discutable, mais la plupart du temps, les clients sont fascinés par notre vision. Ils y voient aussi le pouvoir marketing de notre histoire sur leur produit. À notre époque, la durabilité d'un produit et son lien à la protection de l'environnement sont des arguments de vente extrêmement forts. Voilà ce qui finalement nous différencie de la concurrence.

Y a-t-il d'autres arguments de scepticisme de la part des entreprises quant à l'utilisation de votre produit ?

Outre le prix, le principal argument à l'encontre de notre matériau est le fait qu'il soit issu de déchets. La réputation des déchets est particulièrement négative et la plupart des gens ne sont pas informés des progrès qui ont été faits en matière de recyclage. Il est vrai qu'il y a 20 ans, on ne savait pas encore traiter les déchets comme on sait le faire aujourd'hui. Je pense néanmoins que nous avons désormais prouvé aux sceptiques qu'il était possible de construire des produits de qualité à partir d'un matériau issu du recyclage des déchets plastiques. Les applications dans lesquelles le plastique vierge peut être sans problème remplacé par de l'OBP sans perte de qualité sont extrêmement nombreuses.

Pour en revenir à l'industrie horlogère et celle du luxe, quelle place peut réellement s'y faire le plastique ?

Contrairement à ce qu'on pourrait penser, l'industrie du luxe dans son ensemble est très ouverte à l'utilisation de notre matériau. En ce qui concerne l'industrie horlogère en particulier, une vingtaine de marques utilisent notre matériau à l'heure actuelle. Tout a commencé avec la création d'une montre tout en plastique. Ce produit nous a permis de trouver de nouveaux clients, qui n'étaient originalement pas des clients de Braloba. La moitié d'entre eux nous ont approché parce qu'ils étaient activement en recherche de matériaux durables. La vague d'utilisation d'OBP dans l'industrie horlogère est donc doucement en train de grandir.

Parlons de votre récente collaboration avec la maison Maurice Lacroix : comment est née la Aikon #tide ?

Les jeunes générations donnent de manière générale plus de poids aux problématiques environnementales dans leur décision d'achat que les autres. L'objectif de la manufacture Maurice Lacroix était de revisiter le design de l'Aikon, leur montre emblématique, et de créer un nouveau produit permettant d'atteindre ces nouvelles générations. C'est ainsi qu'ils ont pensé à notre matériau et ont pris contact avec nous. L'Aikon #tide est née, et non seulement notre matériau se retrouve dans la montre, mais pour garder une consistance de valeurs sur le produit complet, tout le packaging est également fait en OBP. Maurice Lacroix est devenu un partenaire très important pour nous, car l'entreprise nous soutient également dans notre démarche environnementale et sociale. Nous organisons par exemple des présentations dans les écoles en ­Thaïlande pour expliquer aux enfants l'importance du recyclage du plastique. Nous essayons, dans un pays particulièrement affecté par la pollution plastique, de sensibiliser la nouvelle génération à cette problématique et afin qu'ils y voient un potentiel de changement et de revenus.

Pouvez-vous déjà voir un impact positif sur place depuis le début de vos activités ?

Il est encore très difficile de voir une différence. Il faut s'imaginer que les déchetteries à ciel ouvert sont gigantesques et souvent situées non loin des routes. Pendant la mousson, les fortes pluies détachent une quantité de plastiques de ces montagnes de déchets et se forment littéralement des rivières de plastiques qui dégoulinent le long des routes jusqu'à la mer. L'adage populaire dit que l'eau trouve toujours un chemin, et bien dans ces pays, les plastiques aussi. Les Nations Unies estiment que plus de 8 millions de tonnes de plastiques finissent chaque année dans les eaux du globe. Alors le jour où nous serons à court de matières premières n'est pas pour tout de suite, nous avons encore beaucoup à faire. Et si un jour heureux c'est le cas, alors nous aurons bien mérité un peu de repos ! MSM

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